Nouvelle
Le Père Noël
- Maman !
- oui, chéri,
- le père Noël ne passera pas cette année.
- pourquoi dis-tu ça ?
- il est trop gros pour passer dans les cheminées. L’année dernière, il était moins gros.
Catherine regarda son petit garçon qui reprit :
- et il y a trop d’enfants pour qu’il peut aller partout.
- puisse … mais il ne donne des cadeaux qu’aux enfants qui ont été sages toute l’année. Tu as été sage toute l’année toi ?
- ben oui, je suis sage toute l’année. J’ai été sage hier, j’ai été sage demain.
Noa posa son doudou sur le divan et regarda autour de lui.
- mais il ne peut pas passer par les cheminées.
- et bien moi, je ne l’ai jamais vu faire, mais c’est ce qu’il fait.
- d’abord l’oiseau qui est tombé dans la cheminée était tout noir, il a sali les murs et le plafond quand papa l’a fait sortir, je veux pas que mon cadeau soit tout noir !
- Tu ne veux pas plutôt prendre le petit déjeuner ?
- c’est quoi l’année ?
Catherine était souvent fière de son petit de trois ans qui parlait vraiment bien, mais l’objectif de ce matin était petit déjeuner, école et moins d’un quart d’heure de retard au travail. En plus Noa n’était toujours pas habillé opération qui pouvait prendre cinq minutes comme une demi-heure.
- c’est quoi l’année ?
- tu demanderas à papa, là, tout de suite, on n’a pas le temps. Habille-toi vite pendant que je fais chauffer ton lait.
- pourquoi je dois demander à papa ?
- parce qu’il sait tout sur le père Noël et les cheminées. Dépêche-toi
- pourquoi ?
- Noa, on va être en retard à l’école.
Catherine sentait l’énervement la gagner, comme chaque matin d’école. Il n’y avait que les week-ends que Noa se levait tôt, s’habillait rapidement et venait les réveiller en sautant sur leur lit.
Et maintenant ils attendaient un bébé. Avec toutes les interrogations qui allaient avec.
Elle regarda un Noa ronchon retirer son pyjama tout en jouant avec une petite voiture.
- Tu crois que papa Noël va m’apporter le tracteur avec la pelle dont je rêve ?
Dont je rêve ! Comment fait-il pour utiliser à bon escient de telles expressions ? Il les surprenait sans cesse tant son langage était élaboré. Il avait une mémoire fabuleuse alimentée par une curiosité insatiable. Autant ses « pourquoi ? » étaient agaçants, autant ils nourrissaient son vocabulaire.
- Tu m’écoutes, maman ? Je t’ai posé une question !
- Excuse-moi, chéri, je regardais la pendule !
- Tu crois que papa Noël va m’apporter le tracteur avec la pelle dont je rêve ?
- Qu’est-ce que tu veux faire avec ça ? On n’a pas de jardin.
- Il faut que je demande un jardin en plus ?
Catherine se contenta de sourire. Noa avait un sens de l’humour particulier. La semaine précédente, la maîtresse, assez en colère, lui avait expliqué qu’il dépassait les bornes. Il avait tiré toutes les chasses d’eau alors que ses petits camarades étaient assis dessus et bon nombre de petits avaient hurlé, effrayés à la fois par le bain de siège et le bruit de cataracte des chasses en action. Catherine avait eu du mal à ne pas rire et elle avait expliqué à Noa qu’il ne fallait pas faire des choses pareilles.
- maman, si tu ne sers pas mon lait, on va être en retard !
- tu as raison, on se presse.
Dans la voiture, Noa retrouva son sujet favori du moment.
- On a vu au moins quatorze douze Pères Noël hier, il y en a bien un pour apporter mon tracteur. Mais il faut une cheminée. Et les rennes, ils mangent quoi ?
- ils aiment bien les champignons ou les feuilles, le lichen aussi.
- c’est quoi le lichen ?
- euh, comme de la mousse …
- de la mousse au chocolat ?
- non, de la mousse verte qui pousse dans les forêts.
- comment ils font pour voler ?
- tu demanderas à la maîtres… non, c’est un mystère, personne ne sait exactement.
- c’est quoi un mystère ?
- c’est quelque chose qu’on ne peut pas expliquer.
- pourquoi ?
- parce que.
Catherine songea qu’elle avait perdu contre son fils. Quand elle en arrivait à répondre « parce que », c’est qu’elle s’énervait, ou qu’elle n’avait pas la réponse et que dans un cas comme dans l’autre, c’était un échec. Par contre, Noah avait compris qu’il ne fallait pas insister. Pourtant l’histoire du Père Noël lui posait problème. Marcel, à l’école n’arrêtait pas de dire que le Père Noël n’existait pas. Il était ridicule, le Père Noël était même venu à la crèche l’an dernier. Sans le traîneau ni les rennes, mais quand même !
- maman, est-ce que si je mange du lichen je vais pouvoir voler ?
- je ne crois pas, il faut des ailes pour voler.
- et les rennes alors ?
Catherine freina brutalement pour éviter la trottinette électrique qui venait de griller le stop. L’homme en trottinette électrique plutôt qui fit un petit signe condescendant de la main, genre « j’ai fait exprès » ! .
- le monsieur, il va plus vite que nous …
- le monsieur, il devait s’arrêter pour nous laisser passer !
- pourquoi ?
- il avait un panneau stop. Pour lui dire d’arrêter.
- pourquoi le panneau parlait ?
- Noah ! on arrive à l’école. Est-ce que tu as ton goûter dans ton sac ?
- Je t’ai vu le mettre, maman, tu as oublié ? Je vais demander à la maîtresse comment les rennes du Père Noël volent.
- ça, c’est une excellente idée, bravo mon chéri.
Catherine laissa échapper un soupir, pauvre maîtresse ! Je ne pourrai jamais avoir vingt-cinq Noah toute la journée. Peut-être qu’elle les bâillonne.
InsurGé